Par Charlotte YELNIK- @ArtSoAfrica

Mélissa Laveaux annonce son prochain album chez le label No Format, Radyo Siwèl, un retour aux chansons traditionnelles haïtiennes revisitées à sa façon bien à elle. Un retour aux sources ? Bien plus que ça en vérité. Puisque c’est autant le fruit de ses recherches, l’appropriation volontaire de racines longtemps tues, du moins pas explicitement transmises. Et par le chant, Mélissa Laveaux fait (re)vivre à la fois son enfance, une partie fondamentale de son identité, et une posture engagée voire militante, pour une génération afrodescendante créatrice, épanouie, fière de ses origines et de son avenir.​ 

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élissa Laveaux a grandi au Canada, à Ottawa, ses parents haïtiens fraîchement immigrés après avoir fui l’île sous le joug de Duvalier. Haïti n’est qu’une présence floue pour la petite fille. On ne parle pas créole à la maison, on ne raconte pas d’histoires sur cet exode. Seul fil rouge directement rattaché à ce pays lointain : la musique, celle de Martha Jean-Claude en particulier, que sa mère écoute en la coiffant. Et qu’ils l’aient fait exprès ou non, par ce biais, ses parents lui ont transmis l’essence de l’histoire et de l’identité haïtienne.

Martha Jean-Claude commence à chanter dans les églises dans les années 1920-1930, puis elle s’approprie les chants créoles et vaudous, jusqu’à en devenir l’interprète la plus populaire de l’île. En 1956, elle s’exile à Cuba avec son mari, militant communiste et opposant au régime du colonel Magloire. Elle devient alors la voix de la résistance haïtienne et de la diaspora africaine. Elle ne retourne en Haïti que trente-cinq ans plus tard, après la chute des Duvalier, pour voir s’épanouir le mouvement « mizik rasin » (la musique des racines) : les groupes chantent désormais librement en créole, s’inspirent explicitement de leurs origines vaudous, et appellent la jeunesse à revendiquer son identité, comme elle-même l’avait toujours fait.

Mélissa Laveaux grandit donc pétrie de cette musique, sans en comprendre les paroles. Devenue musicienne, et après un premier album, Camphor & Copper (2008), elle décide de se pencher sur ce matériau et commence une investigation historique et linguistique. Au-delà de sa musicalité, elle découvre la richesse de la langue créole, et son incroyable plastique qui lui donne des sens différents selon les contextes, fourmille de double-sens invisibles pour les non-initiés. Elle écoute désormais Martha Jean-Claude et tous les autres – Lumane Casimir, Emerante de Pradines, et aussi des musiciens comme Frantz Casseus, Issa El Saieh, etc. – d’une tout autre oreille, captant les railleries de l’occupant américain, les appels à la résistance, les revendications identitaires, les références aux origines vaudous et africaines. Et ces messages lui parlent, profondément. Elle se les approprie et les réinterprète, les recrée dans son propre contexte. Elle se nourrit également de rencontres qu’elle provoque, d’interviews d’artistes haïtiens exilés.


Au-delà d’une personnalité intéressante et d’albums brillants, ce que raconte l’histoire de Mélissa Laveaux, c’est la puissance de l’art et de la création comme vecteurs de transmission de pensées et de postures poétiques et politiques. Que la musique et la parole de Martha Jean-Claude, icône de la résistance haïtienne et de la diaspora africaine, renaisse un siècle plus tard sous les doigts d’une Mélissa Laveaux, elle-même à la recherche de ses origines, elle-même « exilée » en France, elle-même en lutte contre tout ce qui s’oppose au libre épanouissement des identités multiples qui la composent, elle mais aussi le monde dans lequel elle évolue, révèle la capacité de l’art à cristalliser et transmettre tout ensemble le questionnement, le terreau de recherche et l’apaisement – et celle de l’artiste à toucher à l’universel.

 « Haïti chérie, un jour tu te reprendras
Et tes enfants, ceux morts, ceux vivants,
cesseront de t’arracher le cœur de la terre »

Mélissa Laveaux, Interlude Haïti, Camphor & Copper, 2008


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